Patate a rallié !

Publié le par alf

Patate, c’est mon chien... Un Basset artésien, jovial et un peu pataud d‘où son surnom. La petite trentaine - si on compte en âge humain - bref, en pleine possession de ses moyens. On ne peut pas affirmer qu’il ait inventé la poudre, Patate, mais lui et moi on s’entendait comme larrons en foire. D’ailleurs, depuis que Monique était partie, on faisait tout à deux. Ou presque. Mais jusque-là, dans le couple, c’était moi qui portais la culotte. Et puis, et puis… tout a basculé.

Quand j’y repense, tout a commencé un peu avant le premier tour. Lui qui jusque-là regardait la télé d’un œil distrait, oreille en berne et truffe en mode ronflement, il a imperceptiblement modifié ses petites habitudes. Le Patate, à la base, il s’endormait peinard, en début d’après-midi, quand Derrick en était à son cinquième coup de fil… Et on refaisait au quotidien le concerto pour Scies en Sol Majeur, jamais à court d’inspiration pour tomber, bras dessus bras dessous, de Derrick en Morphée…

Ca a dû arriver par hasard, un après-midi. En se réveillant, Patate avait fait tomber la télécommande. Quand, à mon tour, j’ai émergé, je l’ai vu les yeux fixés sur l’écran, tel un moustique hypnotisé par le rayonnement d’un halogène. La TV était subrepticement passée de TF1 à la 5 et l’émission programmée s’appelait « C’est dans l’Air ». Une émission politique. Du jamais vu dans mon trois pièces. J’ai glissé jusqu’au frigo, ouvert une chope et on a regardé ensemble.

Finalement, ces élections, ça nous a un peu changé les idées. Toujours la même chose à la télé, ça finit par lasser. Alors, je me suis pris au jeu. Tous ces débats d’idées, ces émissions d’analyses, ces directs rue de Solferino ou dans les banlieues, moi ça m’a plu. Faut dire, depuis trois ans que j’étais au chômage, je commençais par tourner un peu en rond. J’avais tendance à me laisser aller. Monique, d’ailleurs, n’avait pas supporté. Elle avait conclu notre histoire en prenant ses cliques et ses claques et puis… « Bonsoir Thérèse, je me barre! ».

Disons que cette élection présidentielle, c’était du pain bénit pour Patate et moi. On se sentait enfin dans le truc, on parlait de nous, les damnés de la Terre, « ces 10 % de miséreux qui se battent pour vivre dans la dignité » comme ils disaient plus ou moins tous pareils, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite. Et dans le lot, le petit excité de l’UMP n’était pas le dernier à nous caresser dans le sens du poil. Le plus étonnant, c’est qu’avec son mètre cinquante et sa tête de Guignol, ce dernier avait plutôt l’air de plaire à Patate.

Ca n’est pourtant pas arrivé en une fois... Mais après quelques passages chez PPDA, et un paquet de reportages sur le candidat UMP, Patate a fini par l’intégrer complètement. Jusque-là je ne me suis pas trop inquiété. Par contre, lorsque, rien qu’en entendant la voix de Sarko, il s’est systématiquement mis à baver et à s’exciter comme un fou en haletant de plus belle, je dois avouer que ça m‘a mis la puce à l‘oreille... Pour être honnête, j’en ai même éprouvé un peu de jalousie. Puis l’étonnement a fait place à la stupéfaction : dès que Sarko apparaissait et ouvrait la bouche, Patate écoutait, quasi religieusement. Et si jamais j’avais le malheur de zapper, il grognait l‘animal !

Patate m’a ensuite fait bien d’autres caprices. Comme de snober sa gamelle, par exemple. Les boulettes produits blanc que je lui fourguais depuis des années, sans état d’âme, eh bien Môssieur n’en voulait plus. Au magasin, il s’arrêtait systématiquement devant des marques, en me faisant le coup du gentil toutou à son maî-maître qui fait le beau. Et devinez quelle marque il me réclamait dorénavant ? Je vous le donne en mille: du Royal Canin!

Ca n’a fait qu’empirer. Alors que jusque-là Pato et moi on pratiquait la grasse mat’ – oui, à sa plus grande joie je l’avais rebaptisé Pato – voilà que maintenant il aboyait dans mon oreille sur le coup de 5h30 du matin. Bon sang, mais c’est bien sûr, me suis-je dit, le message est clair : il me provoque avec « La France qui se lève tôt », « La France qui travaille dur ! ». Il fallait alors que je lui allume la télé. Pato s’arrangeait pour changer tant bien que mal les chaînes en mordillant la télécommande pour zapper de journaux d’info en flashs, en quête de sa ration de Sarko. Je ne vous dis pas le jour où il a vu les images de la fameuse poignée de main à George Bush, la joie du pépère!

Par contre, je n’ai aucun souvenir du moment précis où il a entendu le candidat parler de racaille. Mais visiblement, les images avaient dû le marquer. Je précise que j’habite en banlieue, dans un bloc HLM. C’est là que les choses se sont vraiment gâtées. Il devenait de plus en plus difficile de sortir du HLM sans que les ennuis ne se pointent. Dès que Pato repérait un gamin à capuche vissée sur le crâne ou à casquette retournée sur le melon, il avait une foutue tendance à le courser et à lui aboyer dessus. Attention, je n’ai pas dit que Pato était devenu raciste hein, non! Mais disons que les autres avaient tendance à le croire. J’étais devenu au mieux la risée du quartier – imaginez… un Basset artésien qui se prend pour un Berger allemand! – au pire, un « enc… de sa mère avec son Pit-bulllll ».

Est arrivé le second tour. Croyez le ou non, j’ai croisé les doigts pour que ça soit la Ségolène qui l’emporte. J’escomptais une solide dépression du clébard et tout rentrerait dans l’ordre. Mais au fur et à mesure des sondages, Pato remuait la queue de plus belle.

Je vous épargne l’épisode de l’isoloir. Autant vous avouer que je n’ai pas trop eu le choix pour voter, pour éviter le scandale. Pato avait même réclamé que je le prenne dans les bras, histoire de vérifier la teneur de mon bulletin. La soirée du 7 mai fut épique. Pato a réclamé quatre fois du Royal Canin et a fini par s’endormir gavé mais heureux, en écoutant la Marseillaise hurlée par Mireille Matthieu, place de la Concorde.

Le lendemain fut plus dur: comment expliquer à un Basset artésien que le nouveau président de la France s’était barré fissa pour plusieurs jours sur un yacht de milliardaire dans une baie de Malte? Heureusement, Pato a la mémoire courte. Et Sarko est vite revenu.

La suite est un peu pénible à raconter : hier en sortant Pato, on a croisé un joggeur. Un petit trapu, légèrement hâlé… Vous me voyez venir, hein? Pour un homme, la confusion serait impossible, mais pour un Basset artésien, bigleux comme une taupe, pensez! Je n’ai même pas eu le temps de m'en rendre compte, Pato était déjà parti comme une balle, droit sur le type. Il lui a sauté sur la jambe en s’excitant comme un dératé et en hurlant comme une sirène de flics! Le type a pris peur - parfois il est difficile de faire le distinguo entre passion extrême et rage totale - et il s’est débattu tant bien que mal en lui donnant des coups de pied. Pato, surpris, a eu un réflexe malheureux. Il a mordu. Quatre points de suture dans le short… Les flics qui passaient dans le coin n’ont rien perdu de la scène. De mon côté, mon sang n’a fait qu’un tour quand ce type s’est mis à varapper mon clebs à coup de tatane de jogging. J’ai foncé à l’aide de Pato et j’ai distribué quelques coups, façon Zidane, moi aussi.

Ce matin, je passe en comparution immédiate après une nuit au Poste. C’est triste à dire, mais le seul avantage de cette histoire... c’est que Pato a vraiment cru que le joggeur c’était Sarko. Et il en est dégoûté à vie ! Dans cinq ans, je crois que je pourrai enfin voter Besancenot, tranquille…

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S
Salut Alf,Pour info, un cas intéressant lié à des propos tenus par les Ogres de Barback lors d'un concert juste avant le second tour. Restons vigilants, la censure menace... Détail avec le lien ci-dessous :http://blog.myspace.com/index.cfm?fuseaction=blog.ListAll&friendID=153733863
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A
hello Ska, c'est effectivement assez dingue... quand les petits capos de l'UMPisme commencent à faire de l'excès de zèle... ;-/
S
J'aime bien ce texte. Pas grand chose à dire de plus si ce n'est que Patate pense comme 53% des Français et que ça me consterne... :-(
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A
patience, dans un an on fêtera les 40 ans de mai 68... un an : juste le temps de faire chauffer à point le couvercle de la marmitte sociale...
T
Bien vu !Zippo est un personnage quasi permanent du Golb, mais il a effectivement eu droit à sa chronique il y a quelques mois : Cool Cat In A Small Town
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A
ca sonne bien ce titre! ...
B
le basset artésien c'est le chien préféré des rockers depuis qu'elvis a chanté hound dog a la TV US avec un " hush puppies" ( le nom du Basset A, là bas aux USA...) dis moi tu le savais, et c'est pour ça que t'as ce chien là, non ? hi hi hi...
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A
Pfiuuu.... non. Mais ça me va ;-)! <br /> (ps: perso, je préfère les chats depuis que j'ai vu les Aristochats ;-)
T
Mon Zidane quelle histoire !Oserais-je suggérer à Pato un stage avec mon chat, Zippo, qui lui apprendra à être une grosse larve inoffensive et apolitique ? :-)
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A
Il en a besoin ! <br /> Ceci dit, avec ton Zippo et mon Pato, on réinventerait presque l'adage des petits vieux, mais en l'inversant : "Quand on connaît les bêtes, on préfère les hommes!"<br /> PS: tu as sans doute parlé de ton Zippo sur ton blog? Mais vu ta production littéraire - dont la qualité n'a d"égale que la quantité !... - si tu as un petit lien spécifique à nous indiquer, on ira voir l'animal de plus près ;-) !