From A54... to Hergest Ridge
Vous vous souvenez peut-être de mon billet sur les joies de la bagnole ? Ou plutôt ce moment où, dernier Mohican sans mon(tu-)ture, j’ai lâchement lâché le morceau pour devenir un homme comme un autre : un conducteur, un vrai. Ce dimanche, j’ai renoué pleinement avec le seul vrai truc trop bon à vivre dans une caisse (je veux dire : à vivre seul, dans une caisse qui roule, bien sûr) : la musique (à fond les manettes, forcément).
Je vous explique. Quittant la capitale, direction la campagne, j’arrive en périphérie flamande et là, comme d’hab’, les ondes se brouillent, c’est total « Smoke on the FM » pour Classic 21, la messe rock du dimanche matin. Je me fais dès lors à l’idée que pour moi la messe est dite et, pour le coup, contraint et forcé, j’enfonce le lecteur K7. Ben oui : j’ai une bagnole d’occase avec un lecteur de K7. On est nostalgique ou on ne l’est pas.
Et il est là, justement, le bonheur : aller repêcher des K7 pourries, avec des vieux trucs dessus, pour se les passer en voiture. Des trucs qu’on écoute encore, ou plus du tout… Pour l’heure, le morceau qui sort des baffles fait plutôt partie de la première catégorie. Hergest Ridge, le second opus de Mike Oldfield, en deux plages d’une vingtaine de minutes chacune.
C’est dimanche et l’autoroute est vide. La voiture pareil, mis à part votre serviteur. Alors vous pouvez y aller plein pot, laisser exprimer vos talents de chanteur-siffloteur sans risquer l’attaque vicieuse de la personne assise généralement à vos côtés, à la place du mort comme on dit. Oui, celle qui n’est pas franchement convaincue, ni par vos goûts musicaux, ni par vos talents de brailleur du dimanche. Alors : vous en pro-fi-tez ! Yeaaaah !
55 kms à parcourir sur une autoroute quasi déserte. Juste le temps d’écouter les deux plages. Que vous connaissez bien sûr par cœur. Longues plages aux sonorités pastorales, sorte de quête de la phrase ultime, quasi proustienne, avec un démarrage en douceur, un développement basé sur le répétitif, des climax. Des moments auxquels vous faites correspondre les méandres de la route, les métamorphoses de la lumière ; une lumière balayée entre nuages sombres et furtives irruptions de rayons ensoleillés, ou au passage d’une corneille qui traverse soudain la route, au moment ou retentit une flûte.
De la tempête d’il y a deux nuit, il reste des milliers de petites branches qui parsèment les bas-côtés, des troncs d’arbre abîmés… Les haut-bois font place à l’orgue puis à la guitare électrique. La mélopée s’envole, elle tempête elle aussi, et vous psalmodiez la langue inconnue que récitent les choristes, alors que pointent quelques gouttes de pluie sur le pare-brise. Folie bien orchestrée. Pour peu, vous pensez que la voiture se conduit toute seule...
Même la boîte à gant s’y met, se prenant pour un troisième baffle, renvoyant des basses qui font ronronner l’habitacle à vous en faire vibrer le crâne, déjà rempli d’images de lutins, et de sorcières rousses. Peu avant Charleroi, vous prenez la bretelle de sortie. La musique ralentit, le calme revient. Vous en avez mal à la gorge d’avoir joué l’orchestre à vous tout seul. Mais vous avez comme un étrange sourire aux lèvres. Un sourire qui mériterait que n’importe quel flic un peu perspicace (ça existe ?) vous fasse souffler dans un ballon. Et pourtant, vous étiez à jeun. "Attention, conducteur du dimanche!" : je remets ça la semaine prochaine…
A lire : le compte-rendu de l’album Hergest Ridge sur l’excellent blog de Nicolas
A écouter, pour ceux qui ne connaissent pas : un extrait de Hergest Ridge, bizarrement couplé à un clip qui ressemble à une pub pour le chemin de fer écossais et que j’ai trouvé sur youtube, ici (conseil : mettez le son à fond les manettes).