Eldorado - Stephan Eicher

Publié le par alf

C’est l’hiver et c‘est le matin. Calfeutré dans son imper noir et le nez dans l’écharpe assortie, il déambule le long des étangs d’Ixelles. Il fait ensuite comme tous les autochtones depuis quelques années, traversant ces travaux qui balafrent la Place Flagey, enjambant les rails de tram posés à vif sur la chaussée, puis entre au café Belga. L’incontournable Belga. Puis il savoure ce qui s’apparente à un lait russe et, entre la lecture de deux pages d’un journal allemand, signe un autographe sur un boc de bière.

La scène se déroule sans doute fin 2005-début 2006, lorsque Stephan Eicher enregistrait les première maquettes de son nouvel album, Eldorado. Elle est sur le dvd qui accompagne l’édition spéciale de l’album. Le barde Suisse… filmé dans mon quartier ! Peut-être y vivait-il depuis quelques semaines à l’occasion de son travail au studio IPC ? Bien sûr, je n’en savais rien et je ne l‘ai jamais croisé…

Cet Eldorado qui a débarqué dans les bacs et qui s’est fait attendre (quatre ans se sont écoulés depuis « Taxi Europa »). Il a pointé le bout de son or il y a quelques semaines à peine. « Eldorado », un titre-horizon, un titre-défi aussi pour un artiste qui a souvent marqué son dédain pour les frontières. On se souvient de « Swim to America » sur la dernière galette. La suite logique était forcément de l’autre côté de l’Atlantique. Mais dans un article récent (« Rolling Stones », je pense), le musicien expliquait avoir pris son billet aller, puis avoir tourné les talons à l’aéroport, suite aux questions inquisitrices d’un sbire yankee à la douane. Le choc américain, ce sera pour une autre fois.

Voici donc un album qui se révèle, au fil des écoutes, plus patchwork, moins uni que ce que le packaging, le premier single et le clip ne laissaient augurer. D’aucuns ont évoqué « My Place » et son quatuor à cordes, par comparaison. On est pourtant loin d’un concept aussi marqué ici. Ce qui n’enlève rien au charme, qui opère dès la première écoute. Les guitares électriques ont quelque peu été rangées au placard; les sonorités Tex-Mex ont fait irruption grâce en partie à la participation de Martin Wenk, la « moitié » cuivrée de Calexico.

La variété des collaborations (textes, compos, backing vocals, band), voilà ce qui caractérise cet album. De façon moins conceptuelle sans doute que sur un précédent « 1000 vies », si l’on veut encore s’amuser au jeu des analogies. Pour les guitares, Stephan Eicher semble s’être fait plus discret aussi - il n’en joue pas sur toutes les chansons - privilégiant un travail sur la voix, tout en douceur, donnant l’impression (l’illusion?) de s’être laisser entraîner par ses petits copains - et avec son plein consentement - sur telles pistes plutôt que sur d’autres. Mais il reste le véritable maître d’œuvre de cet album qu’il a coréalisé avec Frédéric Lo. L’impression générale? Celle d’un Eicher qui a posé son sac à gauche à droite et pour un bout de temps, histoire de reprendre quelques forces avant d‘aller voir ailleurs. Cela donne un disque plus cosy, plus sédentaire aussi.

Confettis. Ca démarre sur du Djian cynique et revanchard et une mélodie enjouée, emmenée par un banjo jovial. La guitare d’intro me fait toujours plus penser à du Yves Simon… mais ce n’est pas rédhibitoire. On entend les doigts glisser sur les cordes, ce qui donne une épaisseur organique au morceau, des petits bruits de percu finissent d’habiller la pépite. C’en est une. Et de une donc!

Rendez-vous. Le fameux morceau de Raphael… Difficile de croire à ces mots-là, à l’utilisation du « je » très premier degré, dans la bouche de SE... Mais au fil des écoutes, on finit par se laisser avoir… Les trompettes nous emmènent à l’ombre d’une hacienda, un vent d’automne semble s’abattre sur cette histoire de liaison foireuse, interprétée plus qu’incarnée ici. O ironie ;-?

Weiss Nid Was Es Esch. Premier titre en suisse allemand. Un carreau décoché par notre Guillaume Tell, en plein cœur. Texte sibyllin signé par l’écrivain Martin Suter. La voix fatiguée, lente, les cordes de basse, le piano, la guitare ‘slide’, et l’harmonica comme une marque de fabrique. Beau comme du pur Eicher ! L’impression d’un « Tu ne me dois rien » bis, 20 ans après, avec la patine du temps qui aurait (presque) cicatrisé l’affaire…

Dimanche en décembre. Une chanson signée Mickael Furnon, que Eicher s’approprie totalement avec plein de petites sonorités pop. Ironie garantie, assumée, décalée. Un rythme qui balance telle une bonne blague, l‘humeur est au clin d‘œil, le sourire est en coin.

(I cry at) commercials. Ambiance bar-bleu nuit, le Campari soda a fait place au verre de Whisky. Eicher au texte et à la mélodie. De l’amertume, une voix trafiquée. La chanson la plus réussie de l’album ?

Voyage. Le morceau avec lequel j’ai du mal... Cette diction si lente m’évoque plus le « plan langue » qu’autre chose. Les mots de Djian sonnent laborieux. Dommage car pour le reste la compo est assez plaisante.

Solitaires. La paire Djian/Eicher refait ici des étincelles. Et puis il y a les instruments à vent, le trombone, le cor, les flûtes... Un démarrage lent, un rythme en crescendo, des chœurs qui font chavirer le tout vers une prière des plus réussie.

Pas déplu. Ou quand Djian s’essaie aussi à la compo. Un titre qui devrait déclencher des sarabandes et autres mouvements de foules dans les concerts avec son côté folk aux accents de Bretagne. Et puis il y a encore cet harmonica qui nous ramène un peu plus à Dylan, à Neil Young et à l‘Amérique. Conclusion: pas déplu!

Charlie. Retour au bar de l’Hôtel S. Un morceau jazzy avec la batterie tout en frôlements. Une chanson en bernois encore, susurrée plus que chantée, par un Eicher visiblement enrhumé. Où la séduction, parfois, va se planquer ! De la clarinette et un brin d’accordéon. On est décidément bien loin de « On nous a donné » et des coups de gueule-guitare de Taxi Europa !

Eldorado. Une chanson de Djian, une de plus sur le thème du couple impossible? Le temps qui passe et le désir qui se lasse… L’Eldorado introuvable. Un morceau qui balance entre la lourdeur plombée de la batterie et les coups de grâce volatils assenés par le Timpanon et le Glockenspiel. Imparable. Là aussi on attend la version live.

Zrügg zu Mir. Dès les premières notes, on devine que ce sera le morceau de fin d’album. Les morceaux de fin d‘albums : une qualité propre au Suisse, qui toujours sait trouver les notes pour dire « au revoir, à bientôt » et distiller ce parfum de nostalgie. Reste alors à l’auditeur un seul geste à poser: relancer la pluie de "confettis".

 

photos: (c) Mondino

PS: ici, un petit écho du concert au Cirque royal le 30 octobre

Publié dans music'land

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T
Bon bah voilà...après 48 écoute je confirme : il est excellent. Comme prévu. Même la raphaëllerie est bien :-)
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A
la" raphaëllerie"... jolie trouvaille!
S
Sacré Eicher, mon compatriote ;-)SysT
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A
Attention, un Suisse peut en cacher un autre ! <br /> :-)
M
Je n'aurai jamais cru que j'allais aimerdu Stephan Eicher mais là, je dois dire, j'ai vraiment craqué pur "rendez-vous" et je suis impatiente de découvrir le reste. Comme toi, je ne l'ai jamais croisé au belga. Comme toi, je sus du quartier pourtant!
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A
bon ben si il remet ça Melissa, et que tu le vois ou moi, laisse un post ici... et vice-versa!<br /> ;-)
T
De Graüzone à "Taxi Europe", j'aime tout d'Eicher..."El Dorado" aussi, bien sûr, même si je ne l'ai écouté que deux fois. Mais c'est un disque qui me parle, vraiment.Merci pour ce bel article, alf.
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A
Oui moi aussi, pareil! Je dirais même qu'on peut trouver le disque de Eicher qu'il faut en fonction des moments de la journée... ou de la semaine. Par exemple, un vendredi soir, après une journée de m... au boulot, rien de tel qu'écouter les chansons bleues pour retrouver la pèche, l'énergie et se nettoyer la tête pou envisager sereinement le we ;-) !
J
Je vous lis... je souris à vos mots Vega et Alf. Je suis fascinée par toutes ces choses que je lis... Pour le moment, je ne l'ai pas encore "digéré" ce nouveau cd. Je n'arrive pas à faire la moindre liaison entre les cds passés et ce nouvel "enfant". Je n'arrive pas à leur trouver des traits communs, à peine ressemblants, si ce n'est dans la plume de Djian parfois, ou dans quelques rythmes parfaitement eicheriens. Non... il y a autre chose. Je m'attendais avec ce titre "Eldorado" à un thème. Je suis surprise de constater qu'il n'y en a pas. C'est quelque chose de plus subtil, de plus profond, je sais que j'approche, je tourne autour, je vais trouver... ;-)Par contre, c'est tout à fait juste : la dernière chanson de l'album le clôture magnifiquement comme à chaque fois !
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A
Les bons disques, c'est comme le bon vin, il faut laisser le temps agir...