L’arbre qui rappelle la forêt (1)
Hier matin dans ma rue, quatre ouvriers communaux s’acharnaient sur un arbre. Pas un grand: un moyen. Et pas à son avantage, vu que c’est l’hiver. Juste un arbre. Ces quatre types, je n’ai pas pu m’empêcher de les regarder avec un soupçon de méchanceté. Mais bon, en repassant le soir, j’ai vu qu’il en avaient replanté un autre, un tout malingre, à la place. N’empêche, voir un arbre se faire achever, c’est toujours dur. Même si celui-là était sans doute malade. Oui, je suis un peu comme Idefix...
A Amsterdam, il y a quelques semaines, une histoire d’arbre à abattre a fait la une des journaux. Un marronnier, un centenaire. Un qui avait fait les deux guerres - la première et la seconde - et qui en avait vu depuis. Faut dire, cet arbre, c’était celui qu’Anne Franck pouvait apercevoir du haut de son grenier, là où elle était planquée pendant la seconde, justement, de guerre mondiale. Son dernier lien avec la Vie.
C’est à Anne Franck, que je dois un des rares souvenirs de complicité partagés avec mon père. Je devais avoir douze ans, et notre paternel avait entrepris de nous lire, tous les soirs, un chapitre du « Journal d‘Anne Franck », à mes sœurs et moi.
Je précise qu’on venait de se taper le feuilleton « Holocauste » diffusé sur Antenne 2 - en 79 - et on était un peu comme qui dirait… sous le choc.
D’ailleurs, avec mes sœurs et mes petites voisines, avec qui on avait l’habitude de jouer à « Daktari », à « Drôles de dames » (oui, je jouais Bosley)
ou à « l’Homme qui valait trois milliards » (non, je ne jouais pas Steve Austin, elles ne voulaient pas les garces…), on avait entrepris de rejouer… « Holocauste »... Un peu comme une thérapie de groupe j’imagine. C’était en plein hiver et on avait allumé des tas de vielles bougies pour faire plus vrai. D’abord dans le grenier, sous les poutres en sapin,
puis dans la cave (because ça caillait trop là-haut), près des produits inflammables. Je vous dis pas la gueulante, le jour où les parents ont découvert ce qu’on trafiquait…
Pour en revenir à la lecture du Journal, au-delà des jolis yeux bruns d’une toute jeune fille qui ont ému le jeune gamin que j’étais alors, je me rappelle l’émotion vécue au travers de son récit raconté à la première personne. La beauté d’âme de la demoiselle. Et puis le récit de la peur, de la haine raciale et l’incompréhension face à l’horreur. L’Horreur avec un grand H comme dans Histoire.
Il y a quelques semaines quand les pelleteuses se sont approchées du marronnier centenaire d’Anne Franck pour l’équarrissage fatal, l’affaire a provoqué un tollé. Il faut dire que l’arbre était depuis longtemps classé monument historique. Cela n’avait évidemment pas empêché la pollution et le temps de faire leur travail de sape. Mais les boucliers se sont levés de part et d’autre pour sauver « l’arbre d’Anne Franck ».
L’affaire de l’arbre m’a fait repensé à tout ça. A « Holocauste », à « Au nom de tous les miens », autre série vue quelques années après. Puis un autre souvenir m’est revenu : mon père, tombant sur ce qui me servait alors de cartable (à douze-treize ans), un sac américain en toile de jute kaki où j’avais dessiné les logos d’AC-DC et de KISS au gros marqueur.
Mon paternel, côté rock’n roll, il s’était arrêté à Brassens, plutôt fondu de cantates de Bach et autres concertos pour orgues de Haendel. KISS donc, dont il m’expliqua, un peu consterné, que les deux S dessinés comme ça sur mon cartable évoquaient la… Waffen-SS. Pour l’heure, j’avais pas su quoi lui répondre, évidemment… Je savais même pas à quoi ils ressemblaient les KISS (!) alors vous imaginez, la Waffen-SS…
[à suivre...]