L'arbre qui rappelle la forêt (2)

Publié le par alf

undefinedVers 1977, il y eut des punks parmi lesquels d’aucuns (quelques-uns, du moins) arboraient croix gammées, bottes en cuir ou casque à pointe. Pure provoc’. J’étais trop petit pour m'en rendre compte alors. Le seul simili-keupon qui m’a marqué à l’époque c’était notre Plastic « planant » national. 

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Plus tard, quand j’ai découvert le coup des croix gammées, entre épingle à nourrice et crête de coq, j’ai trouvé ça très con. 

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Aujourd‘hui, avec le recul, j’analyse ça un peu différemment. Leur attitude pouvait être lue comme un refus dada de tout ce qui faisait sens pour les adultes. Le ‘no future’ traduisant ici, au travers de l’adoption d’une vieille panoplie fort connotée, le refus du « vieux monde », le fait que plus rien ne disait rien… de juste. C’est ce que Greil Marcus explique dans son « Lipstick Traces (une histoire secrète du XXe siècle) ». Du moins c'est ce que j'en ai compris. Manière peut-être de nous obliger à partir à la quête du sens perdu, de ce sens « glissé ». Sorte de démonstration par l’absurde, en quelque sorte : la volonté de faire table raze du passé nous obligeant à nous rafraîchir la mémoire...

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Plus le temps passe et nous éloigne de la Seconde guerre mondiale, plus les arbres perdent leurs feuilles, et disparaissent. Bien sûr, il reste les témoignages enregistrés, les livres, les documentaires, les films, les œuvres d’art, les camps devenus musées, les manuels d’Histoire et l’école. Mais parfois pointe la sensation que cette réalité-là s’éloigne imperceptiblement et à jamais. 

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Mon grand-père, soldat belge, fut prisonnier en Allemagne après « avoir couru 18 jours » comme dit encore ma grand-mère, mi-ironique, mi-amère. Quand il est revenu, il avait un gosse de 6 ans qu’il ne connaissait pas et qui ne le reconnaissait pas. Ca façonne des vies, forcément. Dans le monde des ados d’aujourd’hui où le virtuel prend de plus en plus le pas sur le réel, est-ce que quelque chose de personnel, de concret, de proche les ramène encore - exception faite de ceux dont l’histoire familiale est balafrée par l’expérience de l’extermination - à ce moment étrange de l’Histoire des hommes?

Bien sûr, pour la mémoire, il y a les cérémonies.

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Personnellement, j’ai toujours eu une aversion pour les cérémonies d’anciens combattants. A part quelques figures emblématiques de vieux résistants qui sont remontés au front quand le feu a repris ailleurs (Cambodge, Rwanda, ex-Yougolsavie, pour ne citer que ces trois lieux de terreur-là), le « plus jamais ça » des porte-drapeaux, répété à l’infini au fil des années sous un ciel de novembre blafard, avec de moins en moins de petits soldats autour de la flamme, m’a toujours paru passéiste, étroit, quasi corporatiste, et relativement aveugle pour les malheurs du monde présent et à venir. En un mot : inefficace. 

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Je préfère les Lazare Ponticelli. Ce vieillard de 110 ans (en réalité italien de naissance, ce qui le rend déjà sympathique comme « Ancien combattant français » ;-) est le dernier Poilu en vie. Depuis qu’il a décidé de l’ouvrir, de raconter, il ne dit qu’une chose : la guerre est une boucherie immonde et des cons nous ont envoyé la faire. ¨Pas facile à gérer le papy, dans un cortège. Mais efficace pour les jeunes, je trouve !

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Pour en revenir au rock, c'est à la faveur du film qui était consacré au groupe que j'ai appris à quoi faisait référence le nom de Joy division : « division de la joie est l'expression donnée par les nazis au système qui autorisait, au sein des camps de concentration pendant la Seconde guerre mondiale l'exploitation des jeunes femmes juives déportées comme esclaves sexuelles (prostituées enrôlées de force) par les membres de l’armée allemande » (lu sur Wiki). 

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Certains ont vu, là encore, matière à jeter l’opprobre sur le rock, la cold wave, Joy Division et son chanteur tourmenté Ian Curtis. Encore une fois, un truc choquant pour les bien-pensants. Mais appeler son groupe « Joy Division », n‘était-ce pas, de façon détournée et provocatrice - mais aussi probablement subliminale, inconsciente, involontaire -, une tentative de réintroduire du sens dans un univers inhumanisé? Une métaphore de l’horreur rapprochant le présent du passé?

L'absurde et la provoc’ au service de la mémoire? Des armes pour garder l’esprit affûté ? Et pourquoi pas...

 

[à suivre...]

 

Publié dans actu' land

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L
Je découvre cet article par le lien que tu m'as donné.C'est vrai qu'il y a des rencontres ;)Je vais voir Ob-la-di-Ob-a-ma...
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A
Lazare Ponticelli est mort. Petite pensée à lui que je citais dans ce post. J'espère que le Grand récupérateur en chef (Sarko-dieu) n'aura pas son âme...
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P
Bien dit, j'aime dada, le punk et Joy div...
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Je (re-)découvre Joy division, à la faveur de cette sortie ciné... Singulier et fort
J
Super ton article et ton analysePour la compléter voici le regard de Crassou sur Plastic Bertrandhttp://crassou.com.over-blog.com/article-6172148.htmlet sur Joy divisionavec un clip:http://crassou.com.over-blog.com/article-16451061.html.
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merci Jean-Philipe, pour ce regard crassouesque ;-)! 
S
Joli texte, alf...
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salut Ska, merci. je ne pensais pas faire si long sur le sujet mais ca m'a fait carburer la caftière ;-)...la suite (et fin) bientôt